Héros de l’espace ukrainiens

Ce sont des « légendes spatiales » russes, des héros du spatial russe, et pourtant ils sont considérés également comme des « légendes spatiales » ukrainiennes.

Ils sont une vingtaine à être nés en Ukraine du temps de l’Empire russe ou de l’Union soviétique. Ils ont construit, façonné même, le spatial soviétique puis russe et pourtant ils sont Ukrainiens de naissance.

Dans l’espace, on ne voit pas les frontières physiques des pays. Dans la Station spatiale internationale, on oublie les nationalités, et ce n’est pas le cosmonaute russe Anton Chkaplerov, actuel commandant de la station, qui dira le contraire.

Mais qui sont ces « hommes de l’espace » respectés aussi bien en Russie qu’en Ukraine ? Ils sont plusieurs grands ingénieurs et 19 cosmonautes.

Un des pères du spatial russe est Sergueï Korolev (1907-1966). Il est né Jytomyr (ou Jitomir) en Ukraine, et c’est lui qui a développé, entre autres, les programmes qui ont permis l’envoi de Spoutnik 1, premier satellite artificiel de la Terre, et de Youri Gagarine, premier homme dans l’espace. Bien qu’ayant vécu uniquement durant la période de l’URSS, l’Ukraine actuelle ne l’a pas oublié : sa ville natale de Jytomyr possédait un magnifique musée qui lui est dédié (le musée de la Cosmonautique Sergueï Korolev), et sa maison natale était préservée… jusqu’aux récents bombardements de l’armée russe.

Bloc-feuillet de 2007 pour les 50 ans de Spoutnik avec Korolev et Glouchko

Valentin Glouchko (1908-1989) est né à Odessa dans l’actuelle Ukraine. Il est considéré comme le plus grand concepteur de moteur-fusée de l’Union soviétique. Il est à l’origine du développement des moteurs de la R-7 Semiorka, la fusée qui lança Spoutnik puis Gagarine, et qui est toujours en service dans sa version Soyouz actuelle.

Les rapports entre Glouchko et Korolev furent très mauvais. À partir de 1974 et jusqu’à sa mort, Glouchko fut responsable du programme spatial habité soviétique. L’ingénieur fut aussi à l’origine de la conception du lanceur lourd Energia et des moteurs-fusées RD-170 qui l’équipèrent et ont servi au lancement de la navette spatiale soviétique Bourane le 15 novembre 1988.

L’Ukraine lui rend hommage en 2018 par l’émission d’une pièce de 2 hrynias le représentant sur une face, et la navette Bourane au revers.

Deux des pères de l’astronautique russe sont donc nés en Ukraine, et celle-ci leur rend hommage en tant qu’Ukrainiens. Il y a d’autres personnalités spatiales nées en Ukraine mais je ne veux pas surcharger cet article (comme Olexandr Chargeï dit Youri Kondratiouk ou Mikhail Yankel).

Et parmi la centaine de cosmonautes russes ayant été dans l’espace, je vous disais que 19 d’entre eux étaient nés en Ukraine (il en reste 9 en vie) :

  • Pavel Popovich (1930-2009) 2 vols
  • Georgi Beregovoy (1921-1995) 1 vol
  • Georgi Chonin (1935-1997) 1 vol
  • Georgi Dobrovolsky (1928-1971) 1 vol (un des héros de Soyouz 11)
  • Vladimir Lyakhov (1941-2018) 3 vols
  • Leonid Kizim (1941-2010) 3 vols
  • Igor Volk (1937-2017) 1 vol
  • Vladimir Vassioutine (1952-2002) 1 vol
  • Anatoli Levchenko (1941-1988) 1 vol
  • Leonid Kadeniouk (1951-2018) 1 vol – Ukraine
  • Anatoli Artsebarsky, 1 vol
  • Youri Gidzenko, 3 vols
  • Youri Malenchenko, 6 vols
  • Youri Onufrienko, 2 vols
  • Leonid Popov, 3 vols
  • Anton Skaplerov, 4 vols (en vol actuellement)
  • Vassili Tsibiliev, 2 vols
  • Alexandre Volkov (père), 3 vols
  • Sergueï Volkov (fils), 3 vols

Tous ces cosmonautes ont été honorés en Ukraine, souvent dans leur ville natale.

La poste ukrainienne a même rendu hommage officiellement à trois d’entre eux avec l’émission d’un joli timbre pour Leonid Kadeniouk en 2007, Pavel Popovich en 2012 et Georgi Beregovoy en 2011.

On trouve d’autres timbres à l’effigie de certains de ces cosmonautes, or il ne s’agit pas d’émissions officielles, mais de timbres qu’on peut illustrer à la demande (comme en France avec le service de création Mon timbre à moi).

Et il y a eu de nombreuses émissions de timbres, notamment spatiaux, de l’ex-URSS qui ont été surchargées spécialement pour servir dans la nouvelle République d’Ukraine.

Depuis son indépendance en 1991, l’Ukraine a rendu souvent un hommage philatélique au spatial russe, comme ici avec Youri Gagarine en 2011.

L’Ukraine a repris à son compte depuis l’éclatement de l’URSS, les nombreuses installations et infrastructures spatiales qui y étaient installées, notamment à Kiev et à Dniepr (où se trouvent les usines du lanceur Zenit). La société Antonov (dont le légendaire An-225 Mrya conçu pour transporter Bourane et qui vient d’être détruit) est également en Ukraine. Et, dès février 1992, a été constituée l’Agence spatiale nationale ukrainienne (ASNU) pour justement gérer tout cet héritage spatial et le maintenir en activité).

Bourane au salon du Bourget en 1989

Il y a deux cas qui méritent notre attention actuellement :

Le premier est celui de Leonid Kadeniouk (1951-2018), né en Ukraine soviétique à Klishkovtsy. Sélectionné comme cosmonaute de l’Union Soviétique en 1976, puis restant comme cosmonaute de la Russie jusqu’en 1996, où il devient citoyen ukrainien. Puis en tant que cosmonaute ukrainien, il part à bord de la navette spatiale en novembre-décembre 1997 lors de STS-97, devenant ainsi le premier ukrainien « officiel » dans l’espace. Il a occupé par la suite diverses fonctions au sein de l’Armée de l’Air ukrainienne et a été membre du parlement ukrainien.

Voici une interview de Leonid Kadeniouk accordée quelques semaines avant sa mort : https://spacemen1969.blogspot.com/2018/01/rencontre-avec-le-cosmonaute-leonid.html

Le second est celui d’Anton Chkaplerov, l’actuel commandant de la Station spatiale internationale. Il est né le 20 février 1972 en Ukraine, à Sébastopol. Il a été sélectionné comme cosmonaute de la Russie en 2003 et effectue actuellement son quatrième vol et quatrième mission de longue durée dans l’ISS (au 11 mars, il en sera 690 jours au total dans l’espace).

Parti le 5 octobre dernier, il doit rentrer fin mars, et normalement il doit rentrer avec un collègue russe (Piotr Doubrov) et un collègue américain (Mark Vande Hei), qui sont eux à bord depuis avril 2021.

On peut imaginer, que même si c’est un professionnel aguerri, le conflit actuel doit quand même le toucher émotionnellement : il commande un équipage composé de 7 personnes (4 Américains, 2 Russes et 1 Allemand) et, vu les tensions actuelles, les conditions de retour de Mark Vande Hei pourraient changer…

La guerre froide a « permis » à l’époque, que les deux super puissances qu’étaient alors les USA et l’URSS ne se tapent vraiment dessus. L’espace a permis à chacun de montrer « ses gros bras et ses muscles » mais a, en partie, certainement évité un conflit armé. Et cela a duré jusqu’à maintenant. En effet, malgré toutes les tensions qui ont eu lieu ces dernières années, le seul endroit où elles semblaient ne pas avoir d’effet, c’était la Station spatiale internationale. Or aujourd’hui, cela semble fragilisé. Bien sûr, certains peuvent rétorquer que le spatial et les complications que le conflit amène sont peu de choses face à la souffrance, aux morts. Mais l’ISS était encore un havre de paix que les conflits n’atteignaient pas, jusqu’à maintenant. C’est tout un symbole qui risque de disparaître.

Bien entendu, Mark Vande Hei va redescendre sur Terre, et si ce n’est pas en Soyouz comme prévu, ce sera en Crew Dragon (deux capsules habitées doivent rejoindre l’ISS entre la fin mars et fin avril : Axiom-1 et Crew 4), donc la NASA va trouver une solution.

La position des astronautes, des cosmonautes envers un conflit est très difficile à exprimer publiquement. C’est extrêmement compliqué pour eux d’avoir un avis aussi tranché : si on est contre, on trahit, et si on est pour, il peut être considéré comme un monstre par ceux qui sont contre, etc. C’est pour cela qu’un astronaute, cosmonaute, en activité ne donnera jamais son avis. Non pas qu’il n’en a pas, non pas qu’il ne veut pas prendre parti, mais quelque soit sa position, il fera des mécontents. Et c’est aussi compliqué pour une personne qui n’est plus en activité.

L’histoire au final leur rend hommage, un hommage commun, une histoire commune, comme ici avec la Russie et l’Ukraine.

Stéphane Sebile
Secrétaire de la commission Astronautique et Techniques Spatiales de la Société Astronomique de France