
Le physicien et philosophe des sciences Etienne Klein, présent notamment la semaine dernière au deuxième congrès TimeWorld organisé par Innovaxiom et le CNAM, a bien voulu prendre lui aussi la plume et écrire un mot à l’astronaute français, plein d’admiration et de respect.
Cher Thomas Pesquet,
Tenant à ce que ma lettre soit courte, je dois vous épargner les trop longues lignes dont la fonction serait de dire le respect et l’admiration que j’ai pour qui vous êtes et pour ce que vous faites de qui vous êtes.
En un mot : chapeau bas.
Je regarde les photos que vous prenez de là-haut, tout spécialement celles, sublimes, qui font voir que le ciel est toujours noir et que ce n’est jamais que l’atmosphère qui est bleue quand il fait jour. Quelle belle leçon de physique vous nous donnez là ! Je me permettrai d’ailleurs de montrer l’un de vos clichés destructeurs de clichés (« le ciel est bleu ») lors d’un prochain cours.
Je vous sais très occupé, mais j’aimerais vous poser deux questions.
Comme vous le savez, c’est Einstein qui a compris en 1907, de façon formelle, ce dont Galilée avait déjà eu l’intuition trois siècles plus tôt : « Si une personne est en chute libre, elle ne sentira pas son propre poids ». C’est cette idée qui l’a mené huit ans plus tard à une nouvelle façon de concevoir la gravitation qu’on appelle la relativité générale.
Vous qui êtes quasiment en impesanteur, vous ne sentez donc plus votre poids, mais sentez-vous encore votre corps ? Je veux dire : le percevez-vous comme « solidaire de vous-même » ou vous apparaît-il en une certaine façon simplement « périphérique », comme en orbite autour de votre moi ?
Si votre perception de la chose m’intéresse tant, c’est parce qu’elle permettrait de mieux cerner le rôle et la part que joue la gravitation dans la conscience que nous avons de notre propre corps : faut-il se sentir pesant pour pleinement éprouver son incarnation ?
Ma seconde question porte sur la nature de vos rêves dans la station spatiale : ceux-ci vous maintiennent-ils en impesanteur ou bien arrive-t-il qu’ils vous ramènent sur Terre, en n’importe quel endroit où la gravité se fait sentir ? En d’autres termes, votre inconscient parvient-il à oublier que vous avez un poids ou bien celui-ci est-il définitivement inscrit en lui ?
Au plaisir de, peut-être, vous rencontrer un jour.
En attendant, je vous souhaite le meilleur.
Bien à vous,
Etienne Klein