Au cas où on frapperait de l’extérieur… par Enki Bilal

Auteur de bande dessinée et réalisateur français, né le 7 octobre 1951 à Belgrade (en Yougoslavie) Enki Bilal a en partie construit son œuvre dans la science-fiction, aborde notamment les thèmes du temps ou de la mémoire.

Crédit : Casterman

Cher Thomas Pesquet,

Dans quelques jours vous allez, fin de mission oblige, reprendre les commandes de votre module de retour sur Terre.

Vous rapporterez avec vous une indicible somme d’impressions, d’images, de sons, de rêves forcément, mais de cauchemars peut-être aussi (à quoi ressemblent-ils en état d’apesanteur ?).

Tout dans votre mission m’aura, à mon niveau de rêveur libre, passionné à l’extrême.

Mais une chose sans doute bien davantage que toutes les autres : votre rapport à cet espace noir et infini.

Lorsque l’on s’endort, le dos collé à la mince paroi de métal du vaisseau, après avoir consommé à l’excès, au nom de l’humanité entière, les images aux bleus sublimes de notre planète, à quoi pense-t-on ?

A cette épaisseur dérisoire de paroi qui vous sépare du reste de l’infini insondable (vous qui pourtant osez en sonder une infime parcelle, ici-même, en orbite autour de notre précieux habitat) ?

Vous savez, et je sais que vous savez, que dans cet espace infini « on ne vous entendra pas crier », comme le suggérait si bien l’affiche du film Alien.

Alors n’y pensez pas… et ne collez pas une dernière fois l’oreille contre la paroi… au cas où on frapperait de l’extérieur…

Enki Bilal