La spécialiste du sommeil américaine Laura K. Barger et ses associés ont publié en 2014, dans la prestigieuse revue de neurologie clinique The Lancet Neurology, une étude sur la privation de sommeil et la consommation par les astronautes d’hypnotiques (substances capables d’induire et/ou de maintenir le sommeil). L’étude a débuté en juillet 2001 et a duré dix ans. Elle a concerné 64 astronautes qui ont participé à des vols de navettes spatiale américaines, et 21 qui ont séjourné à bord de la Station spatiale internationale.
Le constat est particulièrement édifiant : 75 % des astronautes affectés à un vol sur l’ISS ont pris au moins une fois un somnifère. Les résultats sont encore plus préoccupants pour les astronautes ayant volé sur la navette, puisque 78 % ont consommé des hypnotiques plus de la moitié de leur mission.
Un nouvel environnement bruyant
Plusieurs raisons peuvent expliquer des difficultés à dormir dans l’espace. Tout d’abord, nous ne sommes pas tous égaux par rapport au sommeil et chacun a ses propres habitudes. Certains astronautes ont besoin de reproduire des conditions proches d’un lit sur Terre et ne supportent pas d’avoir les bras flottant en micropesanteur par exemple. Afin de limiter cet inconfort, des sacs de couchage permettent de replier les bras à l’intérieur. La tête peut être retenue et plaquée contre un coussin afin de simuler un appui comme sur un oreiller.
La station est par ailleurs une structure « vivante », avec notamment sa machinerie qui permet la ventilation et le recyclage de l’air, et qui fonctionne 24 heures sur 24. Le niveau de bruit maximum normalement toléré dans les zones de travail est de 60 décibels (équivalent à l’ambiance d’un grand magasin), et de 50 dB dans les zones couchettes (bruit d’une fenêtre sur rue). Ce fond sonore permanent peut occasionner une gêne non négligeable et le port de boules Quies n’est pas forcement recommandé car cela pourrait empêcher d’entendre une éventuelle alarme. A l’époque, le vaisseau-cargo ATV européen était particulièrement apprécié des astronautes pour son bas niveau sonore.
Retiens la nuit
Dormir sur Terre, c’est également d’un point de vue physiologique respecter un rythme nycthéméral qui alterne des périodes de jour et de nuit. Ce rythme basé sur la luminosité entraîne la sécrétion d’hormone telle que la mélatonine, favorisant l’endormissement. Or, avec 16 levers et couchers de Soleil par jour, il est impératif de régler l’ISS avec des phases de jours et de nuit via un éclairage adéquat : plus tamisées la nuit mais non totalement obscures en raison de consignes de sécurité évidentes.
L’absence de pesanteur peut également entraîner des douleurs dorsales ou lombaires. Non soumis au poids du corps, les disques intervertébraux qui servent habituellement d’amortisseurs entre deux vertèbres se distendent et peuvent créer de véritables lombo-dorsalgies qui à la différence du mal de l’espace ne disparaissent pas forcément au bout de quelques jours.
Par ailleurs, certains astronautes ont décrit des réveils en pleine nuit suite à des flashs lumineux. Ceux-ci sont dus à l’impact sur la rétine d’une particule ionisante.

Impact psychologique
Le fait de vivre une expérience unique, souvent l’aboutissement d’une carrière, peut également être une source d’excitation pouvant gêner le sommeil. Celui-ci est d’autant plus difficile à trouver qu’il faut en plus avoir confiance dans les systèmes de support-vie et d’alarme. De plus, la pression liée à l’exigence de réussite de la mission n’est également pas négligeable et peut également participer aux troubles du sommeil d’origine psychologique.
L’impact éventuel de ce manque de sommeil n’est pas sans risque. Celui-ci peut engendrer une fatigue, des difficultés de concentration, des troubles de la mémoire, une diminution des performances et une irritabilité.
L’utilisation de médicament n’est pourtant pas la solution car ceux-ci peuvent favoriser un ralentissement psychomoteur avec une diminution des capacités de réaction notamment lors d’une situation d’urgence en pleine nuit. L’utilisation au long cours peut également engendrer une accoutumance, voire une dépendance.
Il n’y a donc pas de solution idéale. L’utilisation de médicament dans l’ISS comme sur Terre doit faire l’objet d’une réflexion bénéfice/risque tout en essayant de reproduire autant que possible un environnement dans l’ISS le plus proche d’un environnement terrestre.
Docteur Guélove Nolevaux
Crédit photos : NASA